ET SI ON DANSAIT….
ET SI ON DANSAIT…
Ce n’est qu’une petite annonce… « L’usage du temps »…
J’ai 73 ans alors, je suis curieuse et j’ai « du temps à user ».
Je ne connais rien de la danse si ce n’est quelques spectacles et quelques noms de chorégraphes.
J’ai un corps assez maladroit et du genre « boule » plutôt que « sylphide »…
Les années ne m’ont pas affranchie du regard des autres.
La prise de parole, oui ! mais la danse …
Cependant…
Je quitte mes chaussures à l’orée du studio : il est vaste. Une belle lumière filtre à travers les grandes baies. Il y a du monde … Beaucoup de monde … mais ceux qui sont là sont pour la plupart comme moi, timides, hésitants, plus jeunes, plus âgés…
Regards…sourires.. C’est parti !
« Occupez l’espace, faites connaissance avec le plateau » dit Thierry.
Marcher, glisser, d’une chaise l’autre, s’asseoir, repartir, se rencontrer, se regarder, se toucher, toucher le sol, les murs. Pointes des pieds, talons. Les chaises se déplacent,
deviennent fenêtres, cadres ou cages.
Le sol vibre et s’emplit d’une vie venue d’ailleurs. Je sens sa fraicheur, sa douceur. Mes orteils s’animent à la recherche de sensations nouvelles.
Et puis, s’élève toute tendre, la voix de Bourvil : « Non je ne me souviens plus du petit bal perdu ».
Musique d’un autre temps, de « notre temps » ou de toujours.
Viendront Brel, Brassens, Ferré…
Thierry sait choisir ces airs accourus de loin qui parlent à notre mémoire, à notre imaginaire. Mon corps commence à balancer doucement ; sans y penser un de mes bras se soulève comme pour chercher un souffle ailleurs.
Mais ai-je le droit de faire ainsi ? La consigne n’en n’a pas été donnée. Je sors de ma bulle. Je regarde furtivement Thierry puis à droite, à gauche : les autres aussi prennent des libertés. Alors j’ose … étendre ma main, soulever une jambe, déplier une épaule .. ma poitrine s’ouvre et je me sens plus légère. Je ne décolle pas encore mais j’entre dans une autre planète.
Je danse !
Et je sais que je vais rester.
Mes doigts, mes mains, ma tête, mes hanches, ma peau entière vont explorer cet espace inconnu.
Chaque atelier apporte une surprise, chaque fois je suis avide de savoir ce que je vais trouver dans le studio : carrés de papier de toutes les couleurs, cartes routières sur le
sol, des fils de laine emmêlés et tendus d’un mur à l’autre, du papier kraft.
Alors on crée des lieux imaginaires, on voyage, on roule, on s’enroule, dessus, dessous, au sol. C’est l’enfance retrouvée, celle des jeux, des sensations, mais aussi des apprentissages. Sous mes pieds ce sont les feuilles crissantes et l’herbe douce d’un parc aimé que je retrouve, et dans mes doigts mouvants c’est l’eau de la fontaine qui s’écoule ou la brise d’un soir d’été.
Nos corps endormis reprennent vie, tâtent, deviennent plus hardis. Dans leur recherche ils vont vers les autres comme des enfants et voilà les premières figures: duos, trios. Des liens se créent .
Cette année nous offre une belle rencontre. Des élèves d’une école primaire du quartier entre sept et dix ans et de toutes les couleurs se joignent à nous. Nous dansons avec eux, impressionnés par leurs aptitudes à se mobiliser, à mêler leur corps souple aux nôtres, et nous, répondant à leurs propositions, leur demande de porter, ajoutant leurs figures aux nôtres.
Quelle magie !
« Trouvez une fin, dit Thierry »
Mon front s’appuie à la fraicheur de la vitre. La baie s’ouvre sur le jour qui se meurt dans une lueur orangée qui caresse les toits. Quelques rumeurs, la ville bouge aussi avant de s’endormir, et moi je vis d’une autre vie.
Je ne connais rien de la danse ! mais j’ai dansé.
De fils en fils, au fil du temps, le fil des jours m’a filée du Merlan à la Friche de la Belle de Mai, de Marseille Nord à Aix, au Centre National de Danse de Pantin, au Louvre, au Ballet National de Marseille, à Avignon, à Cannes, à la Comédie de Valence.
Quelle aventure !
Combien de temps déjà ?
Je ne sais plus .. Je n’ai pas d’âge quand je danse.
Le 31/01/2012 Jacqueline PIGNON